G. Heller: Ceci n’est pas une prison

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Titel
Ceci n’est pas une prison. La Maison d’éducation de Vennes. Histoire d’une institution pour garçons délinquants en Suisse romande (1805-1846-1987)


Autor(en)
Heller, Geneviève
Erschienen
Lausanne 2012: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
438 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Elisabeth Salvi

En Europe, les premières maisons de discipline furent créées à Amsterdam à la fin du XVIe siècle et serviront de modèle en Suisse où elles sont généralement érigées dans le cadre des hôpitaux comme c’est le cas à Lausanne où la maison d’éducation de Vennes, étudiée par Geneviève Heller, est issue des structures d’enfermement d’Ancien Régime situées à l’Hôpital de la Mercerie. Organisée en trois axes, l’étude consacre une première partie aux aléas institutionnels témoins du passé éducatif du canton de Vaud en se basant sur les bulletins de séances du Grand Conseil, sur les comptes rendus du Conseil d’État et sur les lois inhérentes à la mise sur pied de l’institution depuis ses origines. Après la Révolution, l’institution accueillant des filles et des garçons en difficulté perdure – parallèlement à la structure hospitalière, sise à la rue de la Mercerie, jusqu’en 1846 – date de l’installation de la Discipline des Croisettes aux abords de la ville où seuls les garçons seront désormais accueillis. En 1901, comme d’autres écoles européennes, l’établissement change de nom et devient l’École de réforme en maintenant toutefois les anciennes pratiques éducatives coercitives. C’est seulement au moment de l’entrée en vigueur du code pénal suisse en 1942 qui oblige chaque canton à créer une juridiction pénale des mineurs que les autorités vaudoises vont changer de cap et souhaiter privilégier l’éducation au sein du dispositif pénal.

Si, dès 1941, l’institution disciplinaire adopte un nouveau nom et devient la Maison d’éducation de Vennes, les réformes éducatives tardent à évoluer comme le montre Geneviève Heller dans la deuxième partie de l’ouvrage. Grâce à la richesse du fonds institutionnel qui s’appuie aussi sur les dossiers du personnel éducatif voire sur le registre des punitions, l’historienne rend compte des difficultés de mise en oeuvre des nouveaux moyens éducatifs confrontés d’une part à un climat carcéral difficile à transformer et, d’autre part, à une résistance du personnel ancien et surtout à des pratiques punitives arbitraires et humiliantes subies par les élèves. Observatrice d’une institution locale, importante en Suisse romande qui enregistre 4350 admissions entre 1846 et 1986, Geneviève Heller invite le lecteur à comparer la maison lausannoise – qui accueille aussi des délinquants – avec la colonie agricole en vogue en Europe au XIXe siècle motivée par «l’idéal de la moralisation par le travail de la campagne». (p. 415). Alors qu’ailleurs ce modèle est supplanté dès les années 1860 par un encadrement plus professionnel perçu comme la principale modalité de réadaptation sociale, à Vennes, l’institution maintiendra jusqu’au milieu du XXe siècle une formation professionnelle «limitée au strict minimum (campagne, jardinage, menuiserie)» (p. 416). Bien qu’à partir de la fin des années 1940 un certain nombre de changements matériels visant à supprimer les caractéristiques carcérales symboliques (ouverture au public, à la presse) et matérielles (suppression des barreaux aux fenêtres et du cachot, aménagement des chambres) du bâtiment, ces transformations ne sont pas suffisantes pour affronter les critiques des années 1970 qui dénoncent un état répressif latent. Le titre choisi par l’historienne de Tiens-toi droit ! traduit l’ambiguïté de l’établissement en nous démontrant que l’horizon d’attente de l’institution n’est finalement pas celui d’une socialisation des individus: du premier rapport sur la Discipline établi en 1827 jusqu’à celui de 1986 en analysant aussi les relations du directeur et les procès-verbaux de séances du Conseil de Surveillance établi depuis 1941, Geneviève Heller insiste sur les tentatives mises en oeuvre pour faire évoluer le lieu d’enfermement vers une structure parascolaire qui deviendra, en 1987, le Centre d’orientation et de formation professionnelles.

Pour comprendre les résistances, l’historienne opère alors dans la troisième partie de son analyse une lecture matérielle du registre d’écrou tenu dès les débuts de la Discipline des garçons aux Croisettes (1846-1900) et étudie surtout les registres des élèves de l’École de réforme (1901-1940) qui contiennent des données détaillées. En privilégiant une démarche qualitative, Geneviève Heller aborde une histoire de l’imaginaire éducatif des XIXe-XXe siècle à travers une analyse du support des dossiers d’élèves fabriqués par l’institution (fiches sociales, scolaires, de travail). Les annotations des médecins de l’établissement et les pratiques d’écriture du personnel – instituteurs, maîtres de métier, surveillants ou éducateurs – permettent de saisir l’«observation en construction» de ces pensionnaires placés dans la maison de Vennes à la demande de leurs parents, de l’autorité tutélaire voire des instances scolaires ou judiciaires. L’analyse de Geneviève Heller rend compte d’une part des attitudes des évaluateurs dans le choix des mots ou dans leur manière d’identifier un comportement et, d’autre part, de l’évolution des notations des élèves. Elle tend à donner sens aussi aux décisions qui débouchent sur un placement des garçons à l’extérieur de l’institution. À juste titre, Claude Pahud-Veillard, cofondateur de l’École d’études sociales et pédagogiques de Lausanne, rappelle dans la préface de l’ouvrage que l’historiographie du sujet est encore peu balisée; le livre de Geneviève Heller ne se limite pas à une histoire de l’institution et du rôle des pouvoirs politiques ainsi que celui de l’opinion publique sur le changement radical de l’institution qui n’avait cessé jusqu’à la fin des années 1980 de vouloir se démarquer d’une prison. L’historienne pose les fondements d’une histoire matérielle des archives institutionnelles pour comprendre les choix empiriques du personnel éducatif en voie de professionnalisation dont la mission évolue de la surveillance coercitive à l’émancipation scolaire et professionnelle des adultes en devenir qui leur sont confiés.

Zitierweise:
Élisabeth Salvi: Compte rendu de: Geneviève HELLER, Ceci n’est pas une prison. La maison d’éducation de Vennes. Histoire d’une institution pour garçons délinquants (1805-1846-1987), Lausanne: Antipodes, 2012. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 306-307.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 306-307.

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